Katja Diehl: « C'est la société qui subit les conséquences du trafic automobile. »
07.03.2022 | People & Society
Katja Diehl s’est fait un nom en tant que porte-parole engagée d’une mobilité équitable sous la marque « She Drives Mobility ». « Autokorrektur » (en français : « Autocorrection ») est le nom de son livre récemment publié et qui fait déjà partie des meilleures ventes de littérature spécialisée. Elle y partage les nombreuses anecdotes et observations passionnantes glanées au cours de ses recherches.
Les articles suivants sont extraits d’un entretien approfondi avec Katja Diehl pour notre série de podcasts Riese & Müller unplugged.
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« Lors des recherches et des entretiens réalisés pour mon livre, j'ai rencontré beaucoup de personnes exceptionnelles. Leurs histoires sont révélatrices de l’exclusion subie par certains, ou de leur obligation à opter pour la voiture pour se déplacer. C’est pourquoi j'ai voulu me battre pour l'équité. Loin de moi l'idée d’imposer aux autres un moyen de transport ou un autre. Je n’ai pas envie de convaincre ceux qui préfèrent la voiture. Mais je souhaite parler au plus grand nombre. Je souhaite juste plus d’équité, et que ceux qui ne souhaitent pas prendre la voiture aient le droit à une alternative. Le plus grand combat est de faire comprendre aux gens que le système actuel n’est pas équitable. »
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« "Autokorrektur", le titre de mon livre (en français : autocorrection), était à la base une sorte de marque-page sur Twitter. À chaque fois que je voyais de bonnes idées pour nous affranchir de la mobilité automobile, comme les fameux "cyclo-bus" des villes hollandaises, permettant aux enfants de se rendre à l’école en toute sécurité, je les classais dans la catégorie "Autocorrection". Derrière ces initiatives se cache l’idée qu’il faut repenser notre utilisation de la voiture, ou même repenser notre mobilité au-delà de la voiture. Je ne souhaite pas supprimer les voitures, je souhaite juste qu’on les utilise autrement. Aujourd’hui, une voiture est utilisée en moyenne 45 minutes par jour par personne. Soit deux tonnes d'acier et douze mètres carrés de stationnement qui ne sont pas utilisés efficacement. Je ne jette pas la pierre à ceux qui n’imaginent pas leur vie sans voiture. Il serait toutefois bon de se pencher un peu plus sur le sujet : est-ce un choix délibéré ou par défaut, par manque d'alternatives ? »
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« En Allemagne, la situation n’est pas dramatique. Les choses bougent. Des pistes cyclables temporaires ou d'autres initiatives émergent. Chez les pays voisins, ce n’est pas la même histoire. On se rend compte qu’il reste beaucoup de progrès à faire. Je suis heureuse de constater que certains dirigeants politiques s’engagent activement pour initier un véritable tournant en matière de mobilité, comme Anne Hidalgo à Paris. Alors qu’à Hambourg, on libère 700 mètres de la ballade Jungfernstieg des voitures, à Paris, les huit routes des quais de Seine sont désormais fermées aux voitures. Voilà un changement radical, auquel personne ne se dit : « Dommage qu’il n’y ait plus de voitures. » Sadiq Khan, le maire actuel de Londres, a déclaré que d’ici à 2030, il y aurait 30 % de voitures en moins en ville. En comparaison, voici un objectif de l’Allemagne : au moins 15 millions de voitures électriques dans les rues. Mais que cela signifie-t-il réellement ? S'agit-il d'aouter encore des voitures sur les routes ou bien réellement de remplacer des véhicules à combustion ? Ce projet propose-t-il une forme de changement ? Le fait que le nombre de voitures vendues augmente est la preuve que les politiques des transports ne sont pas démocratiques. Dans le cas contraire, la tendance s’inverserait. »
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« Récemment, j'ai lu un sondage dont les résultats indiquaient que dans les campagnes, les gens étaient tout aussi prêts à rouler à vélo que les citadins. Près de 50 % troqueraient leur voiture contre un vélo s’il y avait des pistes cyclables. Le village de mes parents est par exemple une pâle copie d’infrastructure urbaine. Certains entretiens menés pour le livre m’ont véritablement ouvert les yeux. Les habitants des zones rurales, à la retraite, et qui souhaitent utiliser un vélo électrique, font vite les constats suivants : les dépassements sont dangereux, on manque d’espace dédié aux vélos, tant et si bien qu'on se sent rapidement aussi fragile qu'un chevreuil au milieu de la route. Anciennement automobilistes, ils n’ont jamais fait ces constats auparavant. Pourtant, les routes nationales à quatre voies ont un réel potentiel. Il suffirait de transformer une des voies en piste cyclable et d’instaurer une voie auxiliaire dédiée au dépassement. »
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« Les vélos électriques permettraient de réaliser de nombreux déplacements pendulaires. Plus besoin d'abonnement à la salle de sport. Il suffit de se rendre au travail à vélo, et pourquoi pas, grâce à un service de leasing. Au cours de mes recherches, j'ai rencontré un homme dont le travail, plutôt mal rémunéré, est de nettoyer des wagons. Après avoir fait les calculs, il a fini par se débarrasser de sa vieille voiture pour se procurer un bon vélo à assistance électrique. Depuis, il a annulé son abonnement à la salle de sport, et est nettement plus détendu. La mobilité des populations défavorisées montre qu’il est temps, à bien des égards, de reléguer la voiture au second plan. La mobilité électrique la plus efficace : le train et le vélo. Les voitures électriques, qui ne représentent que 2 % du parc automobile national allemand, ne sont pas encore à mes yeux un pari gagnant. »
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« J'ai eu la chance d’être invitée par deux jeunes responsables de deux collectivités locales pour présenter mes idées en matière de mobilité dans les zones rurales. Ces deux pères de famille amènent leurs enfants à l'école en vélo et savent combien il est dangereux de se déplacer à vélo sur les routes. Pour moi, ils sont représentatifs de la nouvelle génération qui émerge dans le monde politique, et qui est capable de faire bouger les choses. Leur approche de la famille ou du travail, directement liés à la mobilité, est différente. Pour eux, les circonstances évoluent selon les phases de la vie, nécessitant de trouver de nouvelles solutions. Je pense que la liberté de choix peut être un instrument décisif. Admettons que ceux qui roulent en voiture ne changeront jamais leurs habitudes. Mais qu’en est-il de ceux qui n’ont pas le permis ? Quelles sont leurs alternatives ? Un critère de comparaison entre les régions reste l’efficacité de la mobilité proposée à tous, même à ceux qui n’ont pas de voiture. La voiture reste encore un luxe. Seule la moitié des gens dont les revenus sont précaires ont une voiture. L'autre moitié préférerait certainement investir son argent pour mieux vivre, et adapterait sa mobilité afin de ne pas travailler pour entretenir une voiture. »
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« Les organismes de transports en commun et les experts des secteurs du vélo et de la mobilité devraient mettre en commun leurs compétences afin de réfléchir ensemble à des moyens de rendre la voiture obsolète. Pour cela, un seul moyen de transport ne suffit pas. La trottinette électrique ne peut se substituer intégralement aux trajets en voiture. Mais elle permet de se rendre à une gare ou de parcourir de courtes distances en zone rurale. L’important est toutefois l'intérêt général. Plutôt que de supprimer des solutions, nous devons aborder la question en nous disant : nous sommes un pays développé, et souhaitons assurer une mobilité et une vie de qualité. Il ne s'agit ici pas de chiffres. Le trafic automobile ne doit plus être une solution unique, car c’est toute la société qui en subit les conséquences. »
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Katja Diehl est experte en développement durable et en mobilité. Avec « She Drives Mobility », elle aborde différentes thématiques comme la mobilité du futur, les nouveaux modes de travail et la diversité. Son réseau est développé dans les pays germanophones, mais également dans d'autres pays européens.
Pour Katja, la mobilité n’est pas un défi technique. Il s'agit plutôt de changer les comportements et les attitudes. Pour cela, l'humain doit rester au centre des préoccupations, et il faut chercher des solutions judicieuses avec les personnes directement concernées par un changement de mobilité.
Le livre de Katja
« Autokorrektur – Mobilität für eine lebenswerte Welt » chez S. Fischer Verlage (en français : « Autocorrection – Une mobilité pour un monde meilleur »)